Engagée en mai 2017, l’expédition Under The Pole III est une aventure hors du commun dédiée à l’exploration des océans. Une équipe de plongeurs et de scientifiques parcourt le monde à bord de la goélette polaire WHY, de l’Arctique à l’Antarctique, en passant par le Pacifique et l’Atlantique. Son objectif : étudier le milieu sous-marin entre la surface et une profondeur supérieure à 150m. Elle a fait des découvertes exceptionnelles sur le corail polynésien de ces milieux.
La plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES, en anglais) a rendu public en mai 2019 à Paris son premier rapport mondial d’évaluation. Il y est dressé un triste constat de l’état de la vie sur la Terre. Ce groupe d’experts internationaux estime que 66 % du milieu marin connu est « sévèrement altéré » à ce jour par les activités humaines. Et ce, alors que sa biodiversité est encore loin d’être parfaitement identifiée. Un chiffre parle mieux que tout : 90 % de nos océans restent inexplorés… Ainsi, la twilight Zone, la couche de « moyenne lumière » de l’océan, située entre 30 et 150 mètres sous la surface, n’est accessible que depuis peu grâce aux avancées technologiques et techniques de plongée. La présence depuis un an de l’expédition scientifique Under The Pole III dans les eaux polynésiennes est d’autant plus précieuse que celle-ci est équipée d’un matériel de pointe qui permet à des plongeurs spécialisés d’explorer ces profondeurs jusqu’à leur limite.

C’est une opportunité unique de mener un programme scientifique sans précédent consacré aux coraux dits « mésophotiques ». Très peu explorée jusqu’à présent, cette zone située entre 30 et 150 m de profondeur possède en effet un potentiel de découvertes sans pareil. « Face à l’urgence écologique, il est indispensable de mettre tout en œuvre pour acquérir des connaissances qui nous permettront de mieux protéger les océans et de gérer leurs ressources de manière durable », explique Ghislain Bardout, cofondateur des expéditions Under The Pole. Le voilier Why et son équipage ont rallié les eaux de la Polynésie française mi-2018, avec pour mission d’explorer les tombants coralliens d’une trentaine de sites répartis sur quinze îles sélectionnées dans les cinq archipels : Moorea et Tahiti (îles du Vent) ; Huahine, Raiatea et Bora (îles Sous-leVent) ; Tikehau, Rangiroa, Raroia et Makatea (archipel des Tuamotu) ; Hiva Oa, Tahuata et Fatuiva (Marquises) ; Raivavae (Australes), et Mangareva (Gambier).

Ceci représente un total supérieur à 1 000 plongées. Leurs découvertes, échantillonnées, vont être examinées en laboratoire et il est prévu d’en tirer une dizaine de publications scientifiques. Depuis le mois de juin, l’expédition déploie aussi pour la première fois, à proximité de Moorea, dans l’archipel de la Société, un dispositif expérimental unique : la Capsule. Il s’agit d’une unité d’habitation sous-marine miniature et autonome, permettant à trois plongeurs de rester en immersion continue durant 72 heures (voire plus…), et ainsi d’alterner sous l’eau plongées, phases de repos et phases d’observation.
Under the Pole III : mieux connaître les récifs profionds polynésiens
Depuis juillet 2018, entre deux expéditions polaires – l’Arctique d’où elle vient, et l’Antarctique où elle se rendra en 2020, après un temps d’entretien du Why – l’équipe de l’expédition se consacre à un programme de recherche, intitulé DeepHope, dédié à l’étude des coraux mésophotiques en Polynésie française. Ce programme est mené en partenariat avec le Centre de recherche insulaire et observatoire de l’environnement (Criobe). Il a permis de collecter plusieurs milliers d’échantillons de coraux, dont la plupart sont des échantillons uniques, jamais collectés auparavant. « Ce qui permet d’acquérir des données critiques et capitales sur ces coraux, qui constitueront une source de connaissances pour améliorer leur préservation, mais aussi une source d’inspiration pour le futur », explique Laetitia Hédouin, chargée de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et coordinatrice du programme scientifique avec le biologiste Michel Pichon, lui aussi expert des récifs coralliens.
Tout ceci avec un objectif : connaître leurs richesses et leurs faiblesses afin de proposer des solutions pour les protéger. Les prélèvements effectués révèlent en tout cas que la diversité et la densité des espèces de ce type de coraux ont été largement sous-estimées jusqu’à présent. La richesse de cette collecte, la plus importante au monde, va donner lieu à deux années d’analyses, et ce, avec une perspective de sauvegarde écologique : « ces découvertes contribuent à supporter l’hypothèse d’un refuge pour les coraux de surface dans les profondeurs de l’océan et un espoir pour les restaurer », anticipe avec optimisme Michel Pichon.

Un radeau de sauvetage pour les récifs coralliens de surface ?
Le 4 avril 2019, dans l’archipel des Gambier, Ghislain Bardout et deux plongeurs de son équipe ont rapporté des échantillons du corail mésophotique le plus profond jamais prélevé au monde (– 172 mètres) : le leptoseris hawaiiensis. Les scientifiques du Criobe présents sur place ont immédiatement pu identifier l’espèce et valider ce record. C’est une découverte « attendue depuis 40 ans », s’est enthousiasmé Michel Pichon. « les résultats scientifiques qui se dessinent, ainsi que leur impact, ont clairement un intérêt primordial à l’échelle planétaire. » La récolte d’un corail à cette profondeur, couplée à cette collection unique, prouve que les coraux de surface migrent vers le fond des océans, y trouvent refuge et s’y développent. Ce qui induit l’hypothèse de la capacité des milieux coralliens mésophotiques à servir de refuge et de zone de réensemencement potentiel des récifs superficiels dégradés (blanchiment, atteintes et destructions diverses…), affectés par les changements globaux que subit le milieu marin (réchauffement, acidification, cyclones…). Les connaissances acquises jusqu’à présent suggéraient que 25 % des coraux pouvaient migrer de la surface vers les profondeurs. Aujourd’hui, les découvertes de l’expédition montrent que la tendance est complètement inversée, avec plus de 60 % des espèces de surface capables de les coloniser. « il ne sera jamais plus possible de parler des récifs coralliens sans considérer cette vie dans les profondeurs comme pouvant constituer un radeau de sauvetage pour les récifs de surface », estime Laetitia Hédouin. « ils représentent aujourd’hui un véritable espoir pour restaurer les récifs… »

Les expéditions Under The Pole
Les expéditions Under The Pole ont pour objectif de repousser les limites de l’exploration sous-marine par l’homme, grâce à une approche audacieuse et à une innovation permanente. Reconnues internationalement depuis 2010 pour leur expertise de la plongée polaire (Under the Pole I : 45 jours au pôle nord géographique ; Under the Pole II : 21 mois au cœur du Groenland), elles ont déjà rassemblé 150 équipiers et 180 entreprises et instituts de recherche partenaires. À leur tête, Ghislain Bardout et Emmanuelle Périé-Bardout, un couple qui a fait de sa passion pour l’exploration un métier et un mode de vie. L’expédition Under the Pole III, actuellement en cours, se rendra en Antarctique après son exploration des eaux polynésiennes. Elle doit se poursuivre jusqu’en juin 2021, date du retour prévu à Concarneau en France métropolitaine, port d’attache du Why.
Source : Reva Tahiti Magazine
Texte : Claude Jacques-Bourgeat
Photos : Franck Gazzola, Julien Leblond