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Gambier : Le royaume de la perle noire

On dit qu'on ne la choisit pas, que c'est elle qui nous choisit. Qu'elle éveille en nous un appel au rêve, au voyage. La perle de Tahiti, bijou de l'océan a gardé son secret pendant longtemps. Aujourd'hui, la perliculture est devenue une des plus belles symbioses entre la magie de la nature et le savoir faire de l'homme. C'est dans le lagon de l'archipel des Gambier que les perles sont cultivées avec le plus grand soin et la plus grande patience. Leur réputation n'est plus à faire. Pour son lustre, sa forme et sa couleur, la perle des Gambier fait venir des connaisseurs du monde entier.

Autrefois exploité pour ses huîtres naturelles dont on faisait commerce de la coquille de nacre, l’archipel des Gambier prolonge son histoire nacrière avec la perliculture. Situé à 1 600 km au sud-est de Tahiti, le lagon ressemble à une grande oasis, perdue en plein milieu du Pacifique Sud. Cinq îles hautes sont ainsi rassemblées autour d’une grande barrière de corail délimitant un domaine maritime exceptionnel. L’île principale porte le nom enchanteur de Mangareva. Favorisée par un climat plus frais que celui de Tahiti ou des Tuamotu, la Pinctada margaritifera, l’huître à lèvres noires, y a trouvé un environnement marin adapté à ses besoins, à savoir une eau saine, tempérée et une nourriture riche en plancton et sels minéraux. C’est dans ce cadre que quatre-vingt-dix fermes perlières, la plupart familiales, cultivent ce coquillage appelé localement « nacre ».

Si les perles étaient autrefois les fruits du hasard, il n’en est plus de même ou presque. Dès le XVIIIe siècle, les Chinois ont inventé la perliculture, perfectionnée par les Japonais au siècle dernier. C’est de cette technique dont se sont inspirés les Mangaréviens pour produire leurs propres perles. Cependant, la qualité des perles n’est pas seulement due à l’environnement marin ni à la maîtrise d’une technique. Éric Sichoix, à la tête de sa ferme depuis 2008, l’affirme : « les belles perles, nous les devons à la qualité de notre travail. il faut être impliqué, patient et persévérant ». Ce patron passionné a fait ses armes aux côtés de son oncle, le très réputé Robert Wan, celui que l’on surnomme l’Empereur de la perle et qui est aussi le fondateur du Musée de la perle à Tahiti. « j’ai travaillé pour lui durant 18 ans, j’étais responsable de trois de ses fermes, j’avais 170 personnes sous mes ordres et j’assurais 70 % de la production de perles. »

Puis en 2008, Éric se décide à monter sa propre ferme aux Gambier, sur un terrain appartenant à sa femme mangarévienne : le motu Tarauru Roa, un îlot de sable blanc sur la barrière de corail. « les débuts ont été difficiles car je suis parti de rien. mais à force de travail, aujourd’hui, je peux dire que je suis fier. C’est la qualité de mes perles qui parle pour moi », assure le patron.

Parti de quelques hectares de concession maritime il y a 10 ans, Éric Sichoix exploite désormais 30 hectares et fait travailler une quinzaine de personnes. Toutes vivent avec lui sur son motu. Pour réussir, il l’a bien compris, il faut répondre aux exigences du marché. Les perles les plus appréciées sont foncées, rondes et petites, d’un diamètre autour de 9-10 mm. « Hier, j’ai vendu un lot de 4 800 perles à Tahiti pour 10 850 000 Fcfp. Et la semaine prochaine, j’ai un nouveau lot de 4 000 perles. j’ai déjà deux acheteurs pour celui-là ». Les clients d’Éric sont fidèles, ils reconnaissent son sérieux et la qualité de son produit. Grossistes étrangers, négociants locaux, bijoutiers et collectionneurs écoulent ainsi les 150 000 perles que livre Éric chaque année. « la perle c’est d’abord une passion, il faut être passionné pour réussir à faire de belles perles. il faut prendre soin de ses nacres et être patient », explique encore le perliculteur.

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Perliculture aux Gambier : un travail risqué et de longue haleine

Les nacres vont en effet être manipulées à plusieurs reprises durant leur cycle de vie. D’abord, les œufs sont « captés » au sein du lagon. Ils s’accrochent sur de longues guirlandes de plastique prévues à cette fin : les collecteurs. Après une année, les nacres sont « détroquées » c’est-à-dire retirées de leur collecteur. Elles sont alors triées par taille, puis percées afin de les conditionner en chapelets ou torons de nacres. De cette façon, elles peuvent continuer leur croissance tout en étant protégées des prédateurs par un grillage. Après quelques mois supplémentaires dans le lagon, les nacres sont prêtes à être greffées. Une intervention rapide, minutieuse et délicate effectuée par un greffeur. C’est sur lui que repose la responsabilité de la future récolte de perles. La greffe consiste à entrouvrir la nacre et à inciser sa poche perlière pour y insérer deux corps étrangers. Le premier, baptisé nucléus, est une petite bille ronde issue d’un coquillage, et le second, un greffon. Ce dernier servira à influencer la couleur de la nacre que l’huître va sécréter autour du nucléus. Ainsi, utiliser un greffon foncé assurera la production d’une perle de couleur foncée. Le greffon est prélevé préalablement sur le manteau d’une huître donneuse sélectionnée justement pour sa couleur par le greffeur. Les huîtres des Gambier sont ensuite placées dans un grillage, puis replongées dans le lagon. Après 14 mois, pour se protéger de cet intrus, l’huître aura sécrété tout autour du nucléus une matière nacrière appelée scientifiquement aragonite. La perle est alors prête à être récoltée par les greffeurs. Si elle est de belle couleur et de belle qualité, ils replaceront un nouveau nucléus dans la poche de l’huître de façon à obtenir une deuxième perle quelques mois plus tard. C’est ce que l’on appelle la seconde greffe. Un bon travailleur peut greffer jusqu’à 700 nacres dans la journée. En moyenne, sur 100 nacres greffées, seules 50 % d’entre elles produiront des perles commercialisables. Les plus prisées sont les perles rondes, surtout si la couleur, le lustre, la taille et la surface répondent aux critères des experts. Il y a aussi les cerclées, les baroques et les semi-rondes. La nature, bien qu’influencée, est encore loin d’être complètement maîtrisée. C’est d’ailleurs ce qui rend les perles aussi fascinantes.

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Produire la perle noire : l’union fait La force…

Pour s'assurer un meilleur succès lors de la récolte, les professionnels mangaréviens se sont tournés vers des greffeurs chinois. Ces derniers ont la réputation de travailler plus vite et avec plus de précision. Feng Fen vient de Chine. Elle a été repérée chez elle par des perliculteurs polynésiens partis en quête de travailleurs. Depuis maintenant 16 ans, Feng Fen a quitté son pays pour greffer les nacres des lagons polynésiens. Elle vit depuis un an aux Gambier avec sept autres greffeurs et amis venus de la même ville. Déracinés, ils recréent ensemble un semblant de communauté chinoise. « nous avons besoin d’être réunis, de parler notre langue, de jouer, de nous balader. Ça nous permet de vivre notre culture même si on est loin de chez nous », explique la greffeuse.

À 35 ans, Feng Fen sait que dans quelques années elle rentrera près de ses enfants qu’elle ne voit qu’une fois par an pendant ses cinq semaines de vacances. Elle aura mis assez d’argent de côté pour pouvoir vivre auprès d’eux et leur offrir une vie plus confortable. En travaillant à des milliers de kilomètres de chez lui, un bon greffeur peut gagner jusqu’à quatre fois son salaire chinois. Mais se payer les services d’un greffeur chinois n’est pas à la portée de tous les petits propriétaires de ferme. D’autant qu’il faut payer leur billet, les loger et assurer leur salaire juste pour travailler quelques semaines par an. C’est pour essayer de remédier à cette problématique au lendemain de la crise économique, en 2010, que le Groupement d’Intérêt Économique Poé Rikitea a vu le jour. « il fonctionne comme une coopérative dont l’objectif est d’améliorer la qualité des perles pour en faire remonter les prix », explique Dominique Devaux, administrateur du GIE.

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Ainsi, le groupement fait venir des greffeurs sur toute une année que la trentaine de petits perliculteurs membres « se partagent » ensuite selon leurs périodes de greffage pour un prix bien plus abordable. Les membres partagent aussi la vente de leurs perles. Trois fois par an une grande vente aux enchères fait se déplacer la majorité des grossistes étrangers à Papeete. Les perles de toutes les fermes du groupement sont triées, pesées et passées au rayon pour déterminer leur épaisseur de nacre (qui doit être de plus de 0,8 mm) avant d’y être proposées à la vente par lots de plusieurs milliers de pièces. Les ventes groupées du GIE ont pour objectif de valoriser les perles. Lors de la dernière vente, 560 lots ont été vendus pour 480 millions Fcfp. Le GIE est donc la structure à travers laquelle les petites fermes perlières peuvent survivre au milieu des plus gros producteurs. Eugène Keck, dit « Dada », est perliculteur depuis 2004, date à laquelle il a repris la ferme de son grand-père à l’est de Mangareva.

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« Être membre du GiE, pour moi, ce n’est que des avantages. je peux faire appel à de bons greffeurs qui me coûtent moins cher que de les faire venir moi-même de Chine, et puis je ne m’occupe pas des ventes, ça me permet de me concentrer à 100 % sur la qualité de mes perles ». Dada s’est formé sur le terrain, comme la plupart des perliculteurs aux Gambier. Parti de 4 hectares de concession maritime, il a aujourd’hui triplé la taille de son exploitation et peut maintenant « s’exprimer », comme il le dit. Dada a vendu 5 400 perles lors de la dernière vente du GIE. À ses côtés, deux travailleurs et quelques extras quand il y a davantage de travail. Moana, 30 ans, est le dernier arrivé, c’est son premier emploi au sein d’une ferme perlière : « les débuts n’ont pas été faciles, on est mouillé en permanence, on sent pas bon, on se coupe, il faut vraiment être à fond pour faire ce métier ».

« On ne prend jamais de vacances… »

À Akamaru, petite île bordée d’arbres exotiques et peuplée seulement d’une dizaine d’habitants, Rémi travaille avec sa petite sœur Tutana et sa femme Louise. C’est une ferme familiale où le sérieux et la rigueur du travail n’interviennent pas au détriment du lien qui les unit. Bien au contraire : « Travailler en famille nous aide parce qu’on a les mêmes motivations, les mêmes objectifs. On travaille pour nous-mêmes », explique Rémi. Ils exploitent 5 hectares et travaillent sans relâche. En plein soleil ou sous une pluie battante, sur leur petite barge, ils nettoient les grillages de nacres avant de les replonger dans le lagon. Le rythme est intense mais on s’épaule, on se parle et on plaisante aussi parfois. Pour eux, la perliculture, c’est un moyen de mettre de l’argent de côté avant d’envisager un avenir différent. « On ne prend jamais de vacances, on pense juste à économiser pour être tranquilles plus tard », ajoute Rémi. Lorsque le travail à la ferme est terminé, Louise et sa belle-sœur Tutana confectionnent des bijoux avec les perles qui ont moins de valeur. Face à la mer dans leur petite cabane, elles créent colliers, boucles d’oreilles, bracelets, qui seront ensuite vendus aux dames locales et aux touristes de passage. Cette activité leur permet de compléter leurs revenus. La gravure sur nacre s’est beaucoup développée aux Gambier au cours de ces dernières années. Suite à la chute du prix de la perle, les Mangaréviens ont compris qu’on pouvait aussi vivre de la coquille de la nacre et des perles dévaluées. Les frères catholiques qui ont ouvert le CED (Centre Éducatif au Développement) à Rikitea l’avaient déjà bien compris. Depuis 30 ans, cet établissement offre en effet une formation de type CAP aux métiers de la gravure sur nacre permettant d’apprendre à confectionner des objets décoratifs, des bijoux et des pendentifs. « Ici, nous avons la matière première sous la main. On récupère les coquilles des nacres, ça complète le cycle de la perle, finalement rien ne se perd », explique Heifara, professeur de gravure. » Trente élèves, issus de toute la Polynésie, apprennent donc sur deux ans à manier les outils nécessaires pour travailler ce coquillage fragile aux mille couleurs. Ils répondent aussi aux commandes du village.

Dernièrement, les élèves ont ainsi eu l’occasion de réaliser le trophée du championnat du monde de beachvolley et de participer au grand chantier de la restauration de la cathédrale Saint-Michel de Rikitea. Quand les coquilles ne sont pas données au CED, elles sont acheminées par bateau jusqu’à Tahiti. Un entrepreneur les y achète en gros pour les travailler. Sortiront ainsi de son usine des boutons de chemise et du petit artisanat. Si on l’appelle communément « perle noire », cette gemme née de nos lagons offre des pigments de multiples et infinies couleurs qui, associées à une forme et une taille variables, rendent chacune de nos perles unique au monde. Aucune n’est plus belle qu’une autre, les perles ne trichent pas, ce n’est qu’une question d’émotion quand on les regarde… et qu’on les choisit.

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Source : Magazine Reva Tahiti

Texte : Charlotte Guillemot

Photos : Julien Girardot