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Te Pari : une marche entre montagnes et océans

Poursuivant notre série d'explorations de Tahiti "côté montagne", nous vous proposons la découverte de la randonnée du Te Pari.

A l'extrémité sud de l'île de Tahiti, territoire le plus préservé et sauvage, elle est un voyage dans l'histoire naturelle de notre île tout en proposant de spectaculaires paysages.

Sur l’île de Tahiti, il est possible d’expérimenter quatre types de terrain de randonnée pédestre, tous très différents. Les vallées représentent la grande majorité des « expéditions » et certaines sont devenues populaires. Les crêtes sont un autre type d’itinéraires, généralement plus physiques, avec pour objectif l’ascension d’un sommet. Il est aussi possible de découvrir, en condition quasi-spéléologique, les entrailles du volcan de Tahiti Nui en s’engouffrant dans les lavatubes. Enfin, il y a la randonnée du Te Pari, la plus éloignée, la plus au sud de Tahiti sur la partie non habitée et sans route de la Presqu’île. Elle mêle océan, falaises, platiers, rivières. Te Pari, littéralement « la falaise », porte bien son nom. Ici, lors de la formation de la Presqu’île de Tahiti, des coulées de lave refroidies ont bâti ces impressionnantes murailles minérales.

La végétation indigène, après avoir flotté sur l’océan, volé dans les vents, ou encore voyagé dans le plumage d’oiseaux, est venue se reposer là sur ces montagnes et en bord de mer. La côte sud de Tahiti est ainsi relativement épargnée par les espèces d’introduction récentes et invasives. Ces dernières préfèrent l’humidité et la chaleur des vallées aux embruns salés fouettant le littoral.

Randonnée Te Pari à Tahiti : Au bout de la route....

Le moyen d’accès à cette randonnée est déjà tout une aventure : il faut se lever aux aurores, si l’on vient du nord de Tahiti, vers Papeete, et compter une heure trente de voiture pour rejoindre le point kilométrique 18 de la commune de Teahupo’o, plus communément appelé par les habitants le PK 0. Il s’agit ensuite d’embarquer dans un taxi boat qui amènera les randonneurs de la fin de la route au départ de la randonnée, l'un des points les plus au sud de la Presqu'île, sur la commune de Tautira. Pour cela, ce taxi boat franchit la passe de Teahupo’o mondialement connue pour sa compétition de surf et sa vague qui fait frissonner les surfeurs du monde entier. Ensuite, il longe le Fenua aihere (littéralement "la Terre des mangeurs d'herbe") avec ses côtes encore protégées par un lagon auquel succède une partie totalement sauvage, sans barrière de corail, avec des falaises de basalte qui plongent directement dans l'océan. Lors de ce trajet aller, il est possible d'observer depuis la mer, l'itinéraire retour qui se fera sur terre lors de la journée de randonnée. Et de la mer justement, le spectacle est déjà splendide.

Face aux montagnes, il est possible d’imaginer ce qu’ont pu ressentir les premiers Polynésiens, vers 300 ap. J.-C., quand ils ont découvert ce qui deviendra leur fenua, ou bien Wallis, Bougainville et Cook, les premiers Occidentaux qui ont respectivement mis les pieds sur l’île de Tahiti en 1767, 1768 et 1769. Le décor a à peine changé : aucune habitation, aucun jardin, un territoire aux allures vierges... Et pourtant, la Presqu’île était, selon les écrits des missionnaires et les recherches archéologiques, très habitée lors de la période pré-européenne malgré son terrain plutôt accidenté. Elle était avant tout le fief de l’un des plus grands ari’i (chef) de l’île, Teva. Elle fut aussi, lors des débuts de l’évangélisation vers 1800, un refuge pour les Mamaia, une communauté polynésienne qui refusa les règles et la domination des missionnaires protestants puis catholiques.

Randonnée à Tahiti : entre océan et falaises

Le débarquement au fond d'une petite crique formée dans le récif frangeant peut parfois être un peu houleux selon l'état de la mer et demande une attention toute particulière de la part des marins pilotes. C'est ici, à la grotte Anaihe, « la grotte de la Chenille », après une demi-heure de navigation, que les randonneurs posent enfin le pied sur la terre ferme et entament leur périple. Le sentier oscillera entre le platier à fleur d’eau et les falaises entre 5 et 60 mètres d'altitude. L'île de Tahiti fut formée par trois volcans successifs, entre 1 200 000 et 900 000 ans auparavant. Le volcan de Taiarapu ou Tahiti Iti avoisine le million d'années d’âge. Ses coulées de lave venues se refroidir rapidement au contact de l’air puis de la mer, les différentes variations de l'océan, les deux basculements de l'île il y a environ 45 000 ans, et enfin l'érosion, plus marquée sur les côtes sud et est, ont eu pour conséquence la formation de ces grandes falaises. Elles plongent jusqu'aux abysses, à la base du volcan entre 2 000 et 4 000 mètres sous la surface de l'océan. Jadis, à l'échelle des temps géologiques, ces falaises furent en partie immergées. Quant à la grotte Anaihe, selon les archéologues, elle n'est pas due à un phénomène naturel mais a bel et bien été creusée par les ancêtres polynésiens qui évaluaient d'ailleurs l'importance d'une terre en fonction de la dureté de la pierre pour en faire notamment des outils.

« Mur de têtes  »

La randonnée côtière commence ici et sera parsemée de centres d'intérêt en moyenne toutes les vingt minutes, l'objectif étant d'arriver vers midi, pour le pique-nique, au fond d'une grande baie formée par l'embouchure de la rivière Faaroa, la « grande vallée ». Cette frontière naturelle représente la séparation entre les deux communes de Tautira et Teahupo’o. Une légende, qui s'appuie sur l'étymologie de cette dernière, « mur de têtes », raconte même que les guerriers vainqueurs contre leurs rivaux de toujours, les habitants de Tautira, auraient édifié un ahu (mur) avec les upo'o (têtes) des vaincus. Néanmoins, d'autres mœurs viennent contredire cette histoire épique, notamment que les Polynésiens arrêtaient de se battre si leur conflit provoquait de trop nombreuses victimes, pour éviter de s'entretuer jusqu'au dernier. D'autre part, il pouvait être important d'assurer un minimum la paix entre tribus voisines pour organiser des mariages et ainsi combattre la consanguinité.

Cascades et "Bain de la reine"

Les points d'arrêt de la matinée de marche sont nombreux : une superbe cascade en forme de draperie s'écoulant jusque dans la mer (quel plaisir de s'y allonger quand le soleil tape déjà de bon matin et que le sel vient attaquer la peau des aventuriers) ; un saut de 7 mètres dans la mer, quand la houle, relativement faible, permet aux plus téméraires du groupe de remonter sur les parois abruptes et glissantes régulièrement fouettées par l'écume des vagues ; le « bain de la reine » de Tautira où cette dernière, selon la légende, s’adonnait à des bains purifiants dans un jacuzzi d’eau douce apparaissant comme par magie dans le creux d’une falaise ; les murènes grises qui utilisent l’écume des vagues pour piéger et dévorer les crabes de bord de mer ; la pierre de naissance anciennement polie par les ancêtres polynésiens, à même la rivière, afin d’aider les jeunes femmes à accoucher ; la carte de Tahiti, un mystérieux caillou posé sur la plage qui, rempli d’eau, forme deux flaques ayant la même forme que l’île de Tahiti ; et enfin « le plateau/la pointe des bossus », lieu où une légende évoque deux frères, géants et hideux, qui jouaient du pahu (tambour), dansaient et gesticulaient pour déconcentrer les marins passant trop près des côtes faisant ainsi échouer leurs bateaux. Il paraît que les pauvres victimes se faisaient dévorer, mais il semble là aussi que la légende ait été modifiée au fil des siècles, en raison d’une part de la transmission orale des traditions polynésiennes, et d’autre part de la colonisation qui a instauré l’écrit comme nouveau support de transmission. Ce qui est plus certain, c’est que ce petit plateau côtier ait servi à dépecer les baleines pêchées par les tribus de Tautira. En effet, dans les temps anciens, les plus gros cétacés du monde étaient pêchés, à titre exceptionnel, en Polynésie d'ailleurs, la dernière session, extraordinaire, ayant eu lieu sur l’île de Rurutu en 1951, fut racontée dans un ouvrage.

Tahiti : un espace naturel préservé

Après avoir longé la côte à un rythme contemplatif, entre platiers coralliens et falaises, le traditionnel pique-nique des randonneurs s’organise au fond de la baie formée par l’embouchure de la plus grande rivière du sud de l’île, Faaroa, « la grande vallée », creusée dans un magnifique canyon. C’est ce lieu magique qui a été choisi par une association de randonnée toujours active (Te feti’a o te mau mato), il y a quarante ans, pour construire puis rénover à deux reprises un refuge de montagne. On y trouve un dortoir – assez rudimentaire, à même le plancher – une cuisine, sans oublier un coin pour le feu afin de déguster les marshmallows grillés au chocolat fondu en fin de soirée, près de la rivière, de l’écume des vagues et sous un ciel souvent étoilé. Les habitués suspendent même leur hamac entre deux arbres pour profiter au maximum de cette ambiance unique. Que la sortie soit réalisée en bivouac ou à la journée, ce point intermédiaire n’est qu’à la moitié du parcours : le ventre repu et les jambes reposées, il faut penser à repartir car le taxiboat qui s’est chargé d’emmener le groupe au point de départ lui donne rendez-vous en fin de journée pour le récupérer à la fin du périple, à la première habitation de Teahupo’o. Pas de place pour la digestion : la reprise consiste à longer une falaise, suspendu à une main courante à quelques mètres au-dessus des tumultes de l’océan. Il faut ensuite traverser une crique formée dans la baie où la houle est amplifiée et peut souvent atteindre le torse ou la tête du randonneur, passage certainement le plus risqué de la journée, pour lequel une corde et l’expérience d’un guide de randonnée sont primordiales.

L’autre pointe de la baie est alors atteinte. C’est à partir de ce point, repérable par un grand piquet sur la côte et une bouée jaune à 300 mètres au large qui forment une ligne imaginaire, qu’une Aire marine protégée a été mise en place il y a trois ans : la pêche y est interdite. C’est ce qu’on nomme en tahitien un rahui, une réserve où l’homme ne peut plus intervenir afin de permettre à la faune et à la flore de se reproduire en toute tranquillité. Ce rahui a d’ailleurs été élargi à la montagne par la suite. En plus d’être sauvage, ce parcours de rêve est donc protégé. Derrière la pointe, une plage de sable blanc digne des grands films comme robinson Crusoé, la plage, Seul au monde accueille le groupe. Selon l’état de la mer, celui-ci a le choix de continuer par le récif frangeant ou par les forêts au-dessus des falaises.

C’est un peu comme avoir le choix entre un paysage de l’archipel des Tuamotu et un autre des Marquises. C’est généralement la première option qui est préférée ici offrant une marche d’une demi-heure avec de l’eau jusqu’aux genoux, de multiples poissons fuyant devant les pas de ces humains imposants, des coraux de toutes les couleurs, des oursins crayons, des piscines naturelles dessinées par les coraux morts au gré du temps, des canaux creusant le platier et acueillant une faune luxuriante. Au bout, c’est l’apothéose : la base d’une grande cascade plongeant dans la mer et proposant aux randonneurs un mélange d’eau douce et d’eau salée dans une grande piscine. Il n’est possible de s’y installer qu’en passant sous une petite arche et en attendant le courant entrant et en n’oubliant pas de baisser la tête. Il faut répéter le même scénario pour en sortir, tel un siphon qui vous aspire et vous rejette au rythme continu de la houle. La dernière ligne droite n’est pas si droite… En effet, il faut encore se hisser sur des cordes facilitant la montée dans la boue et entre les pūrau et māpe afin d’accéder au-dessus de cette même cascade. Les plus courageux ont la possibilité de sauter de six mètres dans un canyon avant de longer la côte à environ soixante mètres d’altitude, traversant de belles forêts d’arbres côtiers et quelques petites rivières. Il est toujours possible de visiter l’amont de ces écoulements d’eau douce si le timing le permet. Enfin, la barrière coralienne se dévoile, la première passe entrouvre les portes du lagon, beaucoup moins hostile. Les falaises disparaissent et laissent place à un littoral plat et d’anciennes cultures. La première maison – tout de même à une quinzaine de kilomètres de la route et du Pk 0 – montre le bout de son nez. Le taxi-boat, qui doit maintenir un lien de confiance avec le groupe et leur guide, est bien là, fidèle au rendez-vous. Cette expédition, très diversifiée, laisse toujours un souvenir mémorable à tous ceux qui l’ont découverte. C’est une longue journée mais qui en vaut la peine... et qui ne ressemble à aucune autre sur l’île de Tahiti !

Source : Magazine Reva Tahiti

Texte : Jimmy Leyral

Photos : Philippe Bacchet