Au fil des années, j’ai eu l’occasion de contempler de nombreux chefs-d’œuvre d’art océanien du British Museum dans des expositions du monde entier. Ils sont tous reproduits dans divers livres et catalogues, sans parler des nombreuses fois où j’ai écrit sur certaines de ces œuvres. Cela étant dit, avoir six de mes pièces préférées pour moi tout seul a vraiment été l’un des plus grands frissons de ma vie.
Le Département des Arts d’Afrique, d’Océanie et des Amériques du British Museum se trouve actuellement dans les réserves du British Museum dans l’est de Londres. En mai 2020, ces œuvres seront exposées dans leur nouvel écrin du World Conservation and Exhibition Center à Bloomsbury. Mon amie Julie Adams, conservatrice du Département d’art océanien au British Museum, m’a gentiment convié à une visite privée de mes objets favoris du Pacifique Sud dans les réserves. Le British Museum, fondé en 1753, fut le tout premier musée national à ouvrir ses portes grâce aux dernières volontés de Sir Hans Sloane (1660-1753). Ce médecin, naturaliste et grand collectionneur, naquit en Ulster et fit ses études à Londres ainsi qu’en France. À l’âge de 25 ans, il fut élu à la Royal Society, et à 27 ans, au Royal College of Physicians. Son mariage avec Elizabeth Rose, une riche veuve, l’aida certainement à constituer son immense collection de plus de 71 000 objets.

Afin de préserver l’intégrité de celle-ci après sa mort, il légua l’ensemble au roi George II pour la nation, en échange de quoi ses héritiers devaient recevoir vingt mille livres. Actualisée, cette somme représente environ quatre millions de livres sterling (soit 5,2 millions de dollars). L’offre de Sloane fut acceptée et, le 7 juin 1753, le British Museum fut créé par décret du Parlement. Les collections originales comprenaient des livres, des manuscrits et des spécimens naturels ainsi que certaines antiquités (y compris des pièces de monnaie, des médailles, des estampes et des dessins), auxquels s’ajoutaient des objets ethnographiques. Puis, en 1757, le roi George II fit don de « l’ancienne bibliothèque royale » des souverains anglais et du privilège de collecte des droits d’auteurs. Le British Museum fut d’abord installé dans un hôtel particulier du XVIIe siècle nommé Montagu House qui ouvrit ses portes au public le 15 janvier 1759 et dont l’entrée était gratuite pour « toutes les personnes studieuses et curieuses ».

À partir du voyage de Samuel Wallis dans le Pacifique (1766), « les collections acquises par l’Amirauté lors de missions lancées par la Marine royale furent considérées comme appartenant à la nation ». La réalité était cependant bien différente. Les deux plus grands collecteurs lors du premier voyage de James Cook dans le Pacifique (1768-1771) furent le capitaine Cook lui-même et Joseph Banks, le jeune et riche botaniste anglais qui avait payé dix mille livres (une somme actualisée de deux millions de livres, environ 2,6 millions de dollars) pour accompagner Cook lors de ce voyage dans le Pacifique Sud. À son retour à Londres, Banks envoya ces objets à son nouveau domicile, qui fut « de fait l’un des premiers musées des Mers du Sud ». Banks ne se sépara jamais de sa collection et n’en tira aucun profit financier. En 1778, il fut élu président de la Royal Society et devint administrateur au British Museum. Principalement intéressé par son herbier et sa bibliothèque, il légua la majeure partie de ses collections ethnographiques au musée.
Art Océanien au British Museum : le costume de chef-deuilleur
Tahiti, îles de la société, 214 cm
Ce costume de chef-deuilleur a probablement été collecté par le capitaine James Cook lors de son second voyage dans le Pacifique (1772-1775). Après la mort d’un chef ou d’une personne de grande importance, la famille du défunt engageait un deuilleur pour effrayer les mauvais esprits. Le masque est fait de nacres et de plumes d’oiseaux tropicaux. La coiffe est en fibres végétales tressées. L’ornement de tête est en écorce teinte en rouge, jaune et noir, grâce, respectivement, à de l’ocre, du curcuma et du charbon de bois. Le plastron est fait de bois, de nacre et de plumes. La cape est composée de plumes fixées à des cordelettes en fibre de coco. La ceinture est en écorce battue. Le poncho inférieur est constitué d’écorce battue avec des rayures ternes, tandis que le poncho supérieur est composé d’écorce battue avec des rayures vives. À cette époque, chaque nacre « coûtait » l’équivalent d’un cochon. Ce costume était exposé dans la section polynésienne de la « galerie d’ethnologie » du British Museum. En 1966, les conservateurs du musée décidèrent de réorganiser cette section. Délicatement, la coiffe fut démontée. À la stupéfaction générale, une fois la capuche en écorce battue enlevée, le support solide à l’intérieur s’avéra en fait un très beau ti’i tahitien traditionnel en bois. Personne ne sait à ce jour quand ni comment ce ti’i s’est retrouvé là. Ce costume est l’un des dix exemplaires connus au monde.


A'a : oeuvre des îles Australes
rurutu, îles australes, bois de santal, fabriqué avant 1821, 117 cm En août 1821, A’a fut donné par un groupe d’habitants de Rurutu à des représentants de la London Missionary Society basés à Raiatea comme preuve de leur conversion au christianisme. En 1822, A’a fut envoyé au London Missionary Society Museum de Londres. En 1890, ce dernier prêta de nombreuses pièces (dont A’a) au British Museum. Ses frais d’entretien pesaient lourdement sur les finances de la Congrégation. En 1911, A’a fut vendu au British Museum, où il est resté depuis.
Art tahitien : Figure en bois bicéphale (ti’i)
Tahiti hauteur : 59 cm ; largeur : 43 cm ; profondeur : 20 cm
Cette figure en bois bicéphale de Tahiti est totalement unique, il n’en existe aucune autre connue avec deux têtes de face. Le British Museum en a fait l’acquisition en Irlande en 1995. Elle aurait été collectée par le capitaine Sampson Jervois, de la Royal Navy, dans les îles de la Société alors qu’il était premier lieutenant du HMS Dauntless entre 1818 et 1823. Il est presque certain que cette œuvre a été acquise entre le 10 et le 19 janvier 1822 dans la baie de Matavai à Tahiti. Selon certaines hypothèses, cette figure aurait pu être utilisée par des sorciers, qui avaient le pouvoir d’appeler l’esprit à habiter la figure. Grâce à la magie noire et en utilisant des bouts d’ongles, des restes de nourriture ou d’autres éléments liés à la victime, le sorcier pouvait provoquer une mort rapide et douloureuse.


Tête de "Dieu-bâton" et maison de divinité tahitienne
îles cook, rarotonga, bois de casuarina Fin du xviiie siècle - début du xixe siècle
Ce magnifique Dieu-bâton mesure 111 cm. Si l’on compare la taille de la tête et des huit petites figures de ce spécimen à d’autres du même type, celui-ci a dû mesurer plus de six mètres avant que les missionnaires ne se débarrassent de la partie inférieure pour faciliter le transport. Les quatre petits personnages de profil sont sans aucun doute des hommes, et les personnages qui regardent en avant sont des femmes aux jambes écartées. La plupart des Dieux-bâtons qui n’ont pas été brûlés lors des bûchers allumés par les missionnaires ont été coupés, et leurs extrémités supérieures conservées comme trophées religieux ou objets de curiosité.
bois et fibre de coco Longueur : 87cm ; hauteur : 31,5cm ; largeur : 96,4 cm
Cette exceptionnelle Maison de divinité tahitienne est sculptée en forme de cochon avec quatre pieds. Elle a très probablement été utilisée comme un sanctuaire portable pour le culte du dieu de la guerre Oro. Cet objet était caché et seulement sorti pour des événements importants tels des guerres ou l’avènement d’un nouveau chef. Cette pièce fut achetée par le missionnaire George Bennet le 1er octobre 1823 au marché de Papara, à Tahiti. Bennet nota qu’en 1815, après la « fin des idolâtries, cette Maison de divinité avait été conservée à l’intérieur d’une grotte dans la montagne, avant d’être apportée sur le marché et vendue, non pour sa valeur, mais comme curiosité ».
Dieu des pêcheurs ou Oramatua
îles cook, rarotonga, bois, peinture noire Fin du xviiie siècle - début du xixe siècle hauteur : 33 cm ; largeur : 15 cm ; profondeur : 14 cm
Acquis en 1876 auprès du marchand londonien William Wareham, il s’agit d’un des huit exemples connus du « Dieu des pêcheurs » de Rarotonga. Ils sont tous sculptés de la même façon mais semblent avoir été fabriqués par des mains différentes à des moments différents. Parmi les huit, il s’agit d’un des deux exemples connus ornés de motifs peints sur le corps. Très probablement avant de prendre la mer, ces divinités étaient placées à la proue d’un bateau de pêche et couvertes d’offrandes dans l’espoir d’une bonne prise. La production de ces divinités a décliné avec l’introduction du christianisme aux îles Cook au début du XIXe siècle.

Source : Reva Tahiti Magazine
Texte : Laurance Alexander Rudzinoff
Photos : PJRTravel, Ian Dagnall, Shaun Daley, Malcolm Park Editorial, Ukartpics / Alamy Stock Photo